Mercredi. Sans doute le jour qu'il avait le plus détesté au monde. Celui qui se présentait toujours comme un jour de repos en somme avant de partir en catastrophe, passant souvent trop vite, sans avoir eu le temps d'attraper – de frôler même – une quelconque opportunité... en se prenant sur le dos tous les ennuis du monde. C'était ça, un Mercredi normal. Et évidemment, même Jakob n'échappait pas au châtiment qui accompagnait éternellement ces jours maudits, les Mercredi. Mais là, c'était pire que tout. Il n'aurait jamais pu tomber plus bas. Même voir le directeur à côté, ça paraissait n'être qu'une simple amourette – oui, ça en devenait même positif ! … du moins, du point de vue des midinettes prépubères en mal d'amour. Mais qu'est-ce qui l'effrayait autant alors ? Ses parents ? … Impossible. Son père – s'il avait été encore là – ne serait certainement pas venu pour une chose aussi futile que son fils. Sa mère, elle... n'était simplement plus là. Il avait finalement dû accepter l'absence de ses longs cheveux, châtains clairs ou noirs soyeux, de son sourire doux ou éclatant, de ses origines polonaises ou japonaises... ''Elle'' n'était plus là. Alors quoi ?
Une canne. Des lunettes. Des yeux bleus. Des cheveux sombres. Honami Ikeburo. C'était de
ça dont il avait peur. Il aurait voulu retarder au maximum ce moment. Il aurait voulu qu'il n'arrive jamais. Mais il avait fallu que ça tombe. Et surtout... un Mercredi. Un soupir traversa la barrière formée par ses deux lèvres alors qu'il allongeait sa deuxième jambe sur le sol. Assis depuis une trentaine de minutes – oui, il 'était en avance étrangement – près de la porte du bureau du psychologue, il attendait patiemment son arrivée avec celle de... l'autre. L'autre, c'était la brunette qu'il ne supportait pas, celle avec ses longs cheveux et son double jeu. Celle qui semblait plus ou moins sage et gentille au premier abord alors qu'elle n'était qu'une peste hypocrite. De toutes façons, c'était une fille. Qu'avait-il pu attendre d'autre d'une fille ?
Il n'empêchait que quand il voyait ses deux yeux azurs, sa chevelure claire, ses lèvres fines et ses petits seins, il ne pouvait pas contenir la rage qui brûlait sa gorge, qui lui donnait envie de vomir ; la flamme qui le rongeait de l'intérieur, qui compressait sa poitrine. A chaque fois qu'il la regardait, il devenait jaloux de tout ce qu'elle avait, jaloux de ses formes, de sa plastique. Jaloux de ses jambes, de son ventre. Jaloux de tout ce qu'il pouvait voir d'elle, de son apparence. Lui aussi voulait être comme ça. Mais il n'avait pas eu le choix. Elle avait eu de la chance, elle. Et il fallait qu'elle ruine tout avec son caractère copié/collé des autres filles de la classe. Du moins, c'était son avis à lui.
Tout cela avait commencé un peu plus tôt dans la journée en fait. Après un cours, plus exactement. Un cours qu'il n'avait pas écouté. Un de plus. Comme d'habitude, il avait rangé ses affaires lentement sans faire attention aux quelques remarques qu'on lui lançait au passage et avait été le dernier de la classe à partir. Enfin, c'est ce qui aurait dû arriver habituellement. Il avait levé le regard et là, une anomalie dans son champ de vision. Quelque chose qu'il n'avait jamais vu avant, quelque chose d'anormal, qui n'était pas habituel. Une erreur. Et elle aussi avait fait une erreur.
Elle était là, à jouer sa petite comédie, sa pièce en solo. A demander des questions toutes prêtes, toutes faîtes au professeur, pour paraître, pour ressembler à une petite fille sage, qui ne cause pas d'ennuis. Elle était comme ça, aux yeux du polonais. Mais voilà. Personne ne devait rester après Jakob. Personne. Et surtout pas elle.
La suite était facile à deviner : il l'avait coincée à la sortie du cours et, ''comme d'habitude'' s'était battu avec. Pas de chance, le professeur lui aussi était sorti tardivement. Et hop, après un passage rapide chez les surveillants, direction le psychologue, comme si c'était une sanction. D'ailleurs, ça l'était pour Jakob.
Un deuxième soupir.
Il en avait assez d'attendre là, assis sur le carrelage froid du couloir, son manteau sur les épaules. Les cernes qu'il avait sous les yeux donnaient l'impression qu'il pouvait tomber de fatigue d'un moment à l'autre, sans prévenir. Et pourtant, pas un signe de fatigue. Il ne s'étirait pas, il ne baillait pas... c'était devenu si quotidien pour lui, les fosses violettes sous ses deux yeux ambres. Puis, pour s'occuper (ou pour ne pas dormir) il sortit son vieux téléphone des années 2005 certainement avant de l'allumer. Qu'est-ce qu'il pouvait être lent, par rapport aux derniers mobiles sortis. Mais finalement, le petit jingle du démarrage se lança. Le menu, habillé d'un fond d'écran simple, sans doute par défaut, n'affichait rien d'autre qu'un :
Il l'avait murmuré doucement, une moue sur le visage. Il appuya rapidement sur quelques touches au hasard et se retrouva dans le dossier ''Messages''... tout aussi vide que son menu. Pas un seul SMS n'avait été reçu. Figé un instant sur cet écran blanc, ce fût le bruit de pas qui le réveilla...