Nage droit d'vant toi. Nage droit d'vant toi. ♪

Il avait réellement fallu qu'Ema se fasse chier pour atterrir dans ce genre d'endroit. Avec l'argent qu'elle venait de recevoir d'Iris - mère autant détestée que maudite - Ema avait osé faire une chose qu'elle n'avait fait qu'une fois dans sa vie. Elle en avait pesé les causes et les conséquences, les pour et les contres de son choix. Les causes, c'était qu'elle s'ennuyait comme un rat mort et que personne n'était libre ou suffisamment en forme pour lui tenir compagnie. C'était aussi le fait qu'elle venait de recevoir l'argent de sa mère et que, pour la première fois dans sa courte vie d'adolescente rejetée, elle n'avait rien à acheter. rien de nouveau dans les rayons proposant divers maquillages, parfois hors de prix. Les vêtements, elle n'en avait tout simplement pas envie pour le moment. Elle attendrait les soldes. Les conséquences, c'était qu'elle allait encore passer pour une fille désespérée qui attendait vainement que son copain arrive alors qu'il lui avait visiblement mis un râteau. La deuxième conséquence rejoignait la première. La deuxième conséquence, c'est qu'elle allait vraiment passer pour une grosse débile qui comprend que dalle à la vie au milieu des gosses tout baveux et des couples. Tout baveux aussi.

Mais Ema avait pris son courage à deux mains. Après une demi-heure devant le miroir à se demander si elle y allait ou non, elle s'était décidée. De toute manière, rester dans sa chambre à baver seule sur son oreiller et à se morfondre de cet ennui impossible pour un samedi après midi ne servirait à un rien. C'était donc comme une brave qu'elle avait affronté les problèmes causés en partie parce qu'elle avait seize ans et qu'elle allait sur ses dix-sept. Ema était trop vieille pour ce genre de gaminerie. Mais, bitch please, jamais elle n'avait osé y aller, là-bas. Oh. Elle s'était bien promis d'y aller, une fois ou l'autre, avec Hyuga. Rien que pour se foutre de la gueule des poissons. Et de jouer à cap/pas cap. Qu'est-ce qu'ils pourraient en faire, des conneries, là-dedans.Ema s'était donc habillée. On ne peut plus simplement. A vrai dire, elle avait attrapé les premiers vêtements qui trainaient dans sa chambre, en boule ou étalés sous son lit. Et après avoir reniflé et regardé s'il n'y avait pas de tâches, elle les avait enfilé. Pour une fois, elle avait faire un effort. C'était un t-shirt claire, tout simple, sans rien. Et un jeans. En fait, elle n'avait même pas pris la peine d'associer ses vêtements. C'était un peu pour dire 'Un rendez-vous ? De quoi tu parles ?'.

Ema s'était donc aventurée jusqu'à l'Aquarium.

Non pas qu'elle soit passionnée par les poissons. En fait, elle s'en foutait pas mal des poissons. Ce n'était jamais que des êtres bizarres qui finissaient dans les assiettes. Elle, elle préférait regarder les gens. Parce que souvent, ils avaient vraiment l'air con. C'était certainement ça que les poissons se disaient en regardant les gens qui les regardent nager à longueur de journée. C'était probablement ça. Ema se demanda, en franchissant les portes de l'Aquarium, ce qu'elle se dirait, elle, si jamais elle était enfermée dans un bocal et que les gens la regardaient et se foutaient, pour la plupart, de sa gueule. Ouais. Elle se dirait certainement qu'ils ont cons. Et moches, aussi. Et que les enfants, c'est juste encore plus affreux. Et que... Oh. Il est pas mal ce gars là. Putain, elle a vraiment l'air d'une pute celle-là. Ahah ! Leurs fringues, elles ressemblent à rien ! Et... Oh. La jupe de la fille, je l'aime bien. Je me demande si elle l'a achetée en ville ou si ça vient d'ailleurs. Tokyo, peut-être. Ce serait quand même vachement sympathique de partir à Tokyo. Rien que pour se perdre dans les rues comme une glandue et demander son chemin au premier bel inconnu de son âge qui passe. Quitte à demander son chemin, autant le demander avec classe. Et puis merde ! Elle avait seize ans, dix-sept en janvier. C'était quand même loin janvier, non ? Et avec sa gueule de gamine absolument pas sensuelle, elle allait encore attendre un moment. En fait, pou trouver l'amour, elle devait faire quoi ? Oh putain. Ta gueule, Ema.

Tout ça, c'était ce à quoi Ema pensait depuis une dizaine de minutes, assise sur un banc, baignée de la douce lumière bleutée de l'aquarium, au milieu des murs aux grandes vitres transparentes. Et si les vitres n'étaient pas transparentes ? Ce serait con quand même. On pourrait plus voir les poissons. Ouais. Ce serait vraiment stupide. En parlant de poisson. Il y en avait un, un petit, rouge avec des pois bleus, qui la regardait depuis une dizaine de minutes. Enfin. Lui, il était chez lui et comme les gens qui son chez eux, il se demandait certainement pourquoi il y avait une bécasse, seule, plantée à côté. Non, en fait. Il devait certainement ne penser à rien du tout.

« ... »

Quoi ? Qu'est-ce que t'as ? Tu veux ma photo ? Et la poisson qui reste là, à la regarder comme si c'était elle, l'attraction. Non, sérieusement. Être un poisson dans un aquarium, ça doit être vraiment être cool.

« T'as vraiment l'air con, tu sais ? »

Et toi ? qu'ils lui disaient, ses grands yeux noirs et vides d'expression. Ema gonfle ses joues et se met à loucher comme une déficiente mentale. Tu ne sers à rien, Ema.

« Blabla. Je suis un poisson. Blabla. J'ai une tête de con. »

...
Enfermez-la. S'il vous plait.

Les petits poissons dans l'eau nagent nagent nagent ♪

Il y a parfois des choses étranges qui se produisent dans les aquariums. Parfois, on a affaire à un poisson atteint du syndrome de Nemo. C'est-à-dire un poisson qui tente une évasion, seul ou en groupe. Lors de ces cas d'évasion, c'est bizarre. On pense toujours que l'aquarium est vide. Alors, on se dit que les gars qui bossent à l'aquarium sont de gros débiles incapables de s'occuper de poissons correctement. Hé, blaireau ! S'il y a pas de poissons, pourquoi tu nous fais payer l'entrée ?! en fait, c'est juste la phase Alpha du plan Nemo. La phase Bêta, c'était la mise en sac et l'attente des nouveaux remplaçants. La phase Gamma, c'était le retour à l'océan. comme le titre du film de la Petite Sirène II. Tu fais le mort et tu finis dans les chiottes. C'est un peu sale comme ça, mais c'est pas grave. Nemo, quoi. Nemo, chez les poissons, ça devait être grave une star. Une légende, même ! Parce que lui, il avait réussi ! Les autres, ceux qui essayaient, ils finissaient peut-être chez les requins. Puisqu'ils sont 'morts', autant qu'ils servent à quelque chose. Si ça e trouve, il fallait être toxique pour finir aux toilettes. Et encore. aux toilettes, il fallait encore avoir la taille adéquate pour passer dans le conduit ou encore être sûr à cent pour cent d'aller aux toilettes. Parce qu'il y en a beaucoup, des malheureux atteints du syndrome de Nemo, qui ont fini dans la poubelle. Et ça, ça met du temps à nous mener à l'océan. Le poisson, il a juste trop intérêt à être hyper bon en apnée.

La chose la plus bizarre qui était arrivée à Ema, c'était probablement la fille qui lui avait littéralement sautée dessus et écrasée. Si elle avait pu, Ema aurait mis sa main à couper qu'elle l'aurait fait. Enfin. La proximité, ça faisait tout sauf gêner Ema. A la rigueur, elle se serait même assise correctement pour laisser l'autre inconnue s'asseoir à son aise sur elle. Non. C'était une blague. Parce que personne n'écrasait Ema sans en subir les conséquences. Même Hyuga finissait toujours pas payer. Chatouilles, baves ou gages pourris. En fait, c'était stupide. Parce que lui aussi, du coup, il se sentait obligé de se venger ensuite. Et elle aussi. Et puis lui. Et elle encore. C'était une chaîne sans fin de conneries, en fait. Mais Ema était une connerie à elle toute seule. Et ça n'empêchait rien au fait qu la fille continuait de crier comme une conne dans ses oreilles.

« Hé dude ! D'où tu me traites de thon ? Zyva ! Je vais te le faire manger et vomir ton thon ! »

Dude. Zyva.
Non seulement elle attrapait les manies langagières de Shigeru en parlant anglais - choque qu'elle n'avait jamais réussie à comprendre parce que, d'après ce qu'elle avait appris sur lui en trois ans, il était japonais pure souche - mais elle commençait aussi à parler comme Chiharu en utilisant un langage bizarre. Ce langage, elle n'avait jamais réussi à mettre un nom dessus. Chiharu non plus d'ailleurs. elle s'en foutait pas mal, sa colocataire, du moment qu'elle pouvait le dire et l'incorporer dans chacune de ses phrases, on en a bien sûr rien à foutre de savoir d'où ça vient. Du verlan, certainement. Il n'empêche que maintenant, les gosses et les couples, ils les regardaient bizarrement. Ema aurait fait pareil. Ou alors, elle aurait crié une insanité énorme. Comme les grands-mères. Ema aimait parler comme une mamy. Parce que parfois, c'était vraiment jouissif. Mais ça dépendait vraiment des moments. Au milieu d'un couple qui s'embrasse. Leur dire que, merde quoi, ces choses là, ça ne se fait pas en plein milieu d'un couloir. Quoique. Si elle, elle avait un copain, elle ne se gênerait absolument pas. Pourquoi trouver un lieu où se cacher alors qu'on peut éclater notre bonheur à la gueule des gens ? Il n'empêche que faire chier les couples, c'était amusant.

« Ça te dis que toi et moi, on se laisse mourir la tête dans la gamelle après dix heures non-stop de combat physique et verbal avec ces petits êtres démoniaques, keupiiiiiiiiiiiiine-qui-se-fait-passer-pour-moi ? »

Il y a vraiment des choses étranges qui parfois se produisent. Et l'une de ces choses, c'était cette fille. Parce qu'elle arrivait comme le diable de Tasmanie et qu'elle lui lançait une phrase affreusement compréhensible. Aller manger ? Parce qu'une gamelle, c'est bien pour manger. Pas vrai ?

« Sinon moi c'est Halleluuuuuuuuuuuuuuujah ! »

Hallelujah. Comme la chanson ? C'est assez fun comme nom. Un sourire heureux et niais se peignit instantanément sur les lèvres de la métamorphe.

« Et moi c'est Emaaaaaaaaaaaaaaaa ! »

Pourquoi tu cries ton nom de la sorte ?

« Ah et, à ce propos, savais-tu que même dans un bocal carré comme celui-ci , le poisson tourne quand même en rond ? »

Et le pire, c'est que c'est vrai.

« Et t'as remarqué que dans un bocal rond, le poisson tourne souvent en carré ? »

Et le pire, c'est que c'est en partie vrai.
Ema, avec son putain de sourire niais sur les lèvres.