Gabriel aimait bien Aomori.
C’était plutôt sympa, on y était logé, nourri, blanchi, les filles étaient jolies.
Le seul souci c’est que pour bien se marrer, il fallait sans cesse frauder. Le frigo plein à craquer de bières dans leur chambre aurait fait faire une crise de tremblements à l’inspecteur et le nombre de cendriers pleins était affolant.
Ce soir là ses collocs étaient tous en vadrouille, deux d’entre eux étaient en ville et l’autre dans la chambre d’une nana à jouer au bingo sans doute.
Donc pour ne pas rester seul comme un gland, Gabriel avait prit un pack de bières et se roula un joint, le tout enveloppé dans une couverture histoire que si il se faisait surprendre, il pourrait dire qu’il allait… Euh… Ouais c’était nul comme alibi, il n’allait pas se faire chopper et puis voilà, basta.
Il quitta donc sa chambre comme un ninja, un vieux jogging bleu roi écrit ABERCROMBIE en blanc éclatant, des vans, un marcel blanc et un sweat du même bleu à capuche. Il rabattit la pièce de tissus sur sa tête et fila vers l’extérieur.
Il passa dans le hall désert à cette heure si tranquillement.
A vrai dire il ne savait même pas si les portes du pensionnat fermaient ou à quelle heure elles se fermaient.
Il s’en fichait en quelque sorte, tant qu’il pouvait fumer et boire un coup.
C’était pas très malin, ok. Mais il s’est foutait vraiment en fait.
Il franchit donc les portes de verre du hall pour sortir dans le début de la nuit. Il devait être presque 22h, pas si tard en soi.
Il marcha 200 ou 300 mètres avant de trouver un coin cool, un banc sur une petite colline, caché par un bosquet touffu. De là il avait une jolie vue sur la ville en contrebas, ses lumières éclatantes de vies. La lune éclairait la scène et la mince flamme du briquet perça la nuit naissante.
Il tira une bouffée de son joint et soupira d’aise en se détendant. Il allait être tranquille, même dans ses habits de kéké jogging il se sentait bien. Il s’emmitoufla dans la couverture (pas si bête finalement) et se décida de juste terminer son joint, une bière et il rentrerait.
Il était relativement léger, il allait juste être … serein. Bien serein même.
Il décapsula une bière et la vida d’un trait avant de se lever. Il se sentait en pleine forme quand même. Il retourna aux portes du bâtiment, toujours dans sa couverture, ses bières à la main. Il tira la porte… Encore une fois…
Il jeta un coup d’œil à la pendule du hall qu’il voyait à travers les battants.
22h37.
Ah, bon, apparemment le pensionnat fermait ses portes à un moment.
Il haussa les épaules, dédramatisant complètement la situation et retourna sur ses pas. Il se posa sur le ban, s’alluma une clope et réunit des brindilles pour faire un feu. Il se sentait scout, bien qu’il n’ait jamais rien fait de tel, il se marrait franchement, son hilarité aidé par la fumette.
Il finit par allumer un petit feu à l’aide de son briquet et se posa sur le banc.
Hum, il n’était pas si mal.
Un peu pragmatique tout de même, il nota mentalement qu’il allait devoir ruser sérieusement pour ne pas se faire chopper le lendemain matin.
Il décapsulait une autre bière (quelle belle idée d’en avoie emmené décidément) quand un craquement sec se fit entendre.
« Qui est là ? » lâcha-t-il, sur la défensive.

Isidora comptait parmi ses vices (ou ses qualités, à vous de juger) la curiosité. Arriver dans un nouvel établissement comme Aomori, était pour elle synonyme d’exploration. Un guide quelconque, désigné parmi les élèves lui avait pourtant parlé d’un truc… genre… couvre-feu, mais elle avait absolument oublié à quelle heure ledit couvre-feu tombait.
Bref, elle avait habilement évité tous les surveillants puis avait quitté son dortoir. Elle avait révassé quelques instants dans les couloirs, avait apprécié la lumière lunaire qui se reflétait sur les tables du réfectoire vide puis était sortie dans la cour. Elle se laissa porter par ses pas dans le jardin intérieur.
A pas de loups, elle zigzagua entre les arbres immenses, les grandes serres du potager, apaisée et tranquille dans la nuit noire.
A la lumière de la lune, elle avait difficilement escaladé la palissade de l’école puis était retombée de l’autre côté, plus essoufflée que si elle avait couru un marathon.
Foutue faiblesse corporelle, songea-t-elle.
Elle étudia un instant son environnement. De ce qu’elle arrivait à déceler et reconnaître, elle supposa qu’elle avait quitté l’enceinte de l’établissement. Elle sortit son téléphone portable.
22H36. Oh, zut. Ça lui revenait maintenant, le couvre-feu, c’était à 22H15 !
Elle aurait du réescalader dans l’immédiat mais elle était attirée par la force de l’inconnu. Elle perdit donc ses pas derrière les arbres, jusqu’à arriver à l’orée d’un bois. De loin, en contrebas, on apercevait les lumières de la ville. Elle s’approcha, subjuguée par la beauté de l’instant quand une branche craqua sous son pied. Elle s’effraya elle-même.
Elle souleva son pied, puis posa son poing gauche sur sa poitrine. Son cœur ralentit lentement.
-Qui est là ? tonna une voix vers sa droite.
Isidora fit un bond en arrière, terrorisée. Elle pensait être seule !
Tremblante et hésitante, elle sortit son téléphone portable et éclaira son chemin jusqu’à éblouir celui qui venait de parler. Elle sortit de son buisson, les joues cuisantes et le cœur à cinq mille à l’heure.
-Je… euh… m’appelle Isidora… désolée si je vous ai fait peur, balbutia-t-elle en tripotant nerveusement ses cheveux roses qu’elle avait exceptionnellement laissés lâchés. Je crois que j’ai raté le couvre-feu.
Elle fit la moue, puis reconnut les reflets iridescents et mordorés d’un feu qui crépitait. Une violente bourrasque glacée qui lui vrilla les entrailles la décida dans son choix.
-Est-ce que je … peux m’asseoir ? demanda-t-elle d’une petite voix en essayant de se réchauffer du mieux qu’elle le pouvait.
L’internat en asile psychiatrique ayant indéniablement amoindri ses capacités d’adaptation, Isidora n’était pas du genre hyper débrouillarde et n’était une fervente admiratrice du camping . Mais si elle pouvait bénéficier du confort d’un feu de camp qui, oh, se dressait gentiment sur sa route, elle n’était pas contre.
-Comment est-ce qu’on va faire ? paniqua-t-elle en s’accroupissant.

C’était une fille déjà.
Ca c’était plutôt un bon point en fait.
Après elle faisait 12 ans quoi.
Et elle avait des cheveux roses. Boarf, ça lui allait bien. Elle avait pas l’air trop méchante en plus, juste un peu apeurée.
« Je… euh… m’appelle Isidora… désolée si je vous ai fait peur… » dit précipitamment la gamine. Gabriel eut un sourire, elle le vouvoyait en plus, c’était trop choupinou. Puis elle ajouta : « Je crois que j’ai raté le couvre feu. »
Il y eut un petit silence gêné.
La les yeux de la jeune fille s’attachaient aux flammes qui montaient un peu plus maintenant qu’un tas de bois conséquent les alimentaient.
« Est-ce que je … peux m’asseoir ? »
Gabriel était toujours high pour l’instant, même si c’était juste léger.
« Gabriel enchanté. Et oui, bien sûr, j’suis d’humeur partageuse ce soir. Non en vrai je suis toujours un peu comme ça. » Le jeune homme posa son dos sur l’assise du ban et plaça le derrière de ses genoux sur le haut du dossier. Il laissa pendre sa tête en arrière, sa capuche tombant par la même occasion.
« Comment est-ce qu’on va faire ? »
Isidora semblait vraiment paniquer à l’idée de crécher dehors. Gabi haussa un sourcil. Elle était flippée la pauvre enfant.
« Bah on va dormir là. On a un feu, on a des bières (enfin j’ai des bières, à 12 ans on boit pas d’alcool), on va parler ça va passer vite tu vas voir j’suis un mec passionnant. »
Il se releva en tournant sur lui-même dans une tentative qui avait de l’ambition mais qui se solda en un échec cuisant.
Il tira une cigarette de son paquet et l’alluma dans les flammes.
Il clopa quelques secondes, les yeux dans le vague avant de se secouer.
Gabriel fit comprendre à Isidora qu’il allait pisser un coup avec une classe phénoménale et s’éloigna de quelques mètres pour se vider la vessie contre un arbre, la clope au bec.
Lorsque le jeune homme revint de sa petite promenade, il s’assit sur le sol, près du feu, le dos contre le banc.
« Bon puisqu’on a toute une nuit à tuer autant parler un peu non ? Je te conseille juste de pas me toucher. » Devant la mine vaguement étonnée d’Isidora, Gabriel étoffa. « En gros au moindre contact physique t’as une subite envie de m’attirer dans ton lit pour faire des choses qui sont pas de ton âge. Pas mal pratique parfois, pas mal chiant souvent. Au fait t’as quel âge ? J’ai 19 ans perso. »
Hyper sociabilité, second effet d’un bédo sur le caractère de Gabriel.
La nuit allait être longue.
Il décapsula une bière.